Le T-shirt blanc

Publié le par Zouz'story

C’est aujourd’hui ou jamais. Aujourd’hui est un jour décisif, où tout va se jouer en un regard. Aujourd’hui, elle va naître Ou mourir. Elle s’élance à pied dans le petit matin froid vers le quartier repéré la veille, et où elle sait qu’il vit avec son chat dans un modeste 3 pièces du centre ville, à sept minutes seulement de son lieu de travail. Elle le cherche à cette heure incertaine où les ombres fuyantes sorties des porches, commencent à traîner dans les rues du centre ville, à la recherche d'un endroit où planquer leurs cartons. Le jour se dispute encore la place avec la nuit dans un brouillard qui dissout les rêves et engloutit les ombres. Désertes, sinistres avec leurs vieux immeubles délabrés par le poids des misères, ces rues petonnes ne disent rien qui vaille.Elle a peur. C'est aujourd'hui ou jamais répète sa voix du dedans, tandis que ses jambes la portent indépendamment de sa volonté. Parce qu'inconsciemment, elle veut tenir debout envers et contre tout. Sinon elle serait tombée à la sortie de l'hotel. Et le truc le plus incroyable, c'est qu'elle ne soit pas en train de s'évanouir dans la flaque qui réflète l'enseigne lumineuse du Nemrod. Il est là, à l'intérieur. Elle le regarde derrière la vitre du bistrot. Il boit un café, debout au comptoir. Rien sur son visage ni dans ses gestes ne laisse paraitre quoi que soit. Alors qu'elle... elle tremble de tout son corps. C’était prévisible. Si elle ne lui plait pas physiquement, c’est la fin de cette période magique, où ils ont été connectés l’un à l’autre dans la connivence des sentiments amoureux, et dans la même vibration de leurs voix au téléphone. Et elle n’a de peur que celle-là: le perdre à l’instant où il posera ses yeux sur elle… Au loin un chien hurle à la mort. La nuit va s'éteindre. Du côté des montagnes là-bas, quelque chose de rose apparait dans le ciel, alors qu'ici sur la placette encore toute barbouillée de brouillard, les ombres de tout à l'heure ressurgissent comme de nulle part. Débarassées de leurs cartons, elles ont pris forme humaine avec des mines patibulaires, et fagotées -faut voir ! S'ensuit un instant étrange. Court mais à couper au couteau. Elle n'aime pas ça du tout. D'abord, elle n'aime pas l'automne, ses tas de feuilles mortes qui donnent envie de mettre des coups pieds dedans. Et encore moins ses crépuscules poisseux qui collent au cheveux et aux fringues, comme la boue aux godasses. Parce que cette réalité trop pas flatteuse lui rappelle que toutes ces choses provisoires pourraient même finir avant d'avoir commencé. Et ça lui fait froid dans le dos. Envie d'entourer sa taille avec ses bras, de poser sa tête sur son épaule et de respirer son cou... Mais qu'est-ce qu'elle attend pour aller vers lui ? De son poste d'observation, cachée derrière le tronc d'un arbre, elle l'étudie à loisir. T-shirt blanc immaculé sous une veste en jean, il n'a plus beaucoup de poils sur le caillou. Au fond, elle pourrait déjà savoir la part de lui qu'elle n'aimera pas. Tassé sur le zinc, il s'est fait servir un deuxième café, et ni quoi ni qu'est-ce il s'intéresse aux destins précaires de ces solitudes qui l'ont rejoint sans qu'il demande rien. Besoin de personne pour rechauffer la sienne... Au fond, elle sait bien que c'est pas pour son image qu'elle aime cet homme-là; que dans le virtuel, elle s'est créé un héros à sa mesure et parfaitement conforme à ses rêves. Et, ce qui, maintenant, les lie mystérieusement dans le réel est d'autant plus inexplicable, qu'il répond texto à son appel silencieux. Pendant qu'il tape un SMS, son coeur à elle cogne jusque dans ses tempes, embrouillant ses pensées. Puis sentant peut-être qu'elle l'épie, à un moment, il lève la tête, la tourne vers la rue, lui apparaissant enfin de face. Même qu'elle le trouve trop pas beau, et presque vieux avec son front tout raturé et ses poches sous les yeux. Mais son regard de ténèbreux fait chaud. Et ce qui lui plait à elle de toute façon, ce n'est pas ce qu'elle voit, mais ce qu'elle ne voit pas. Enfin ces choses singulières qu'elle ne sait pas nommer... En tout cas, ça chavire, secoue tellement qu'elle n'a pas dû sentir son portable vibrer au fond d'une poche de son jean baggy. Mais.. au fait ?! Comment peut-elle être sûre que c'est lui, alors qu'elle ne l'a encore jamais vu, pas même en photo? A suivre

Publié dans Nouvelle en ligne

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